Kasaï oriental: les chercheurs édifiés sur la gouvernance des ressources naturelles dans une Afrique mondialisée
L’Université Officielle de Mbujimayi (UOM), en collaboration avec l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) basé en France, a organisé vendredi 21 juin dans la salle de l’hôtel Gloria, une conférence scientifique dans le cadre du projet de recherche de mondialisation et gouvernance de forêt dans le bassin du Congo, dont le sigle en Anglais est Glogorena. Le thème choisi pour cette conférence est: “gouverner les ressources naturelles dans une Afrique mondialisée”.
Dans une salle remplie des professeurs, assistants, chefs de travaux, étudiants et bien d’autres chercheurs venus de l’UOM et d’autres institutions d’enseignement supérieur et universitaire de la province du Kasaï oriental, le professeur Eliezer Majambu de l’UOM a développé le sous-thème : “L’écologie politique de la lutte contre la déforestation en RDC”, tandis que le docteur Symphorien Ongolo de l’IRD a développé le sous-thème: “gouverner la jungle dans un contexte de la mondialisation”.
Premier à intervenir, le professeur Eliezer Majambu a démontré que les réformes de gouvernance forestière en RDC ont été dominées par les intérêts des acteurs puissants tels que la Banque mondiale et les élites politiques qui imposent leur diktat, au détriment de la population victime. Pour preuve, il a évoqué le fait que l’État congolais a voulu améliorer son image au niveau international et auprès des agences bilatérales, elle a accepté de signer une loi en 2009 en défaveur des populations locales qui subissent les effets directs de la déforestation. Seuls le gouvernement national et la Banque mondiale se retrouvent dans l’exploitation des bois en RDC.
Cette loi portant sur la lutte contre la déforestation en RDC, a été associée à d’autres comme celle qui régit l’attribution des concessions forestières de conservation, celle qui intègre le principe de lutte contre la déforestation pour la gestion durable dans le secteur minier en RDC sans oublier la loi sur la protection des peuples autochtones. Ces dispositions légales sont issues de discours soutenus par les acteurs impliqués dans le processus d’exploitation du bois (la Banque mondiale, les entreprises d’exploitation du bois, les organisations des peuples autochtones en RDC). Ces discours ont donné naissance à quelques formes de gouvernance notamment, la gouvernance fiduciaire, celle territoriale, et le partage des bénéfices. Fausse note cependant, tout est fait au bénéfice de l’extérieur.
« Ce qui nous a beaucoup marqué, c’est que cette gouvernance reste sur nos papiers. Elle n’est pas suivie des effets de terrain. Des décisions et des lois qui sont inappliquées… une lutte contre la déforestation qui repose exclusivement sur l’aide extérieure. C’est un peu triste, c’est la réalité et ça nous gène. Tout vient de l’extérieur et l’extérieur est là pour imposer aussi sa vision», a-t-il expliqué.
Lutte contre la déforestation, des lois inappliquées en RDC
Le professeur Eliezer Majambu a démontré que le principe de justice environnementale n’est pas respecté alors qu’il est consigné dans les lois du pays en la matière. Bien que reconnus dans la phase préparatoire, les droits des peuples autochtones, des communautés locales, ne sont pas respectés dans la mise en œuvre. Au niveau de la justice procédurale, il y a la participation biaisée des communautés locales. Les ONG locales ne sont impliquées mais sont seulement utilisées comme relais. Au niveau de la distribution, il n’y a aucun plan de partage des bénéfices dans les provinces. C’est plus Kinshasa qui prend la grande part au détriment des populations locales.
Pour lui, la déforestation n’est pas seulement un enjeu écologique, mais aussi politique.
« Le problème de la déforestation n’est pas seulement un enjeu écologique, c’est aussi un enjeu politique. Ce sont des politiciens qui doivent trouver des solutions. Chaque acteur a ses intérêts et puis ses positions. On se rend compte que le processus d’élaboration des politiques et des programmes est injuste, les gens ne sont pas suffisamment impliqués, ils n’en tirent pas profit et donc ils sont découragés. On se dit, la persistance de la déforestation en RDC s’explique mieux par les rapports des pouvoirs et les divergences d’intérêts entre les acteurs impliqués dans la gouvernance forestière en RDC», a dit le professeur Eliezer Majambu qui a encouragé les chercheurs à explorer ce domaine de recherche dans lequel, ils ont apporté leur contribution scientifique.
Les ressources naturelles africaines qui profitent aux européens et asiatiques
Le docteur Symphorien Ongolo, chercheur à l’IRD en France, a expliqué comment les ressources naturelles africaines profitent plus aux européens et asiatiques. Dans son exposé portant sur « gouverner la jungle dans un contexte de la mondialisation », il a indiqué que « la majorité des bois exploités dans le bassin du Congo ont vocation d’alimenter les marchés ailleurs». Les bois exploités en RDC prennent la direction du Portugal ou de la France.
La Chine, a-t-il révélé, est devenue un acteur principal dans l’exploitation des ressources naturelles en Afrique depuis les années 2000. À la Chine s’ajoute le Viêtnam qui se fait depuis, un acteur clé bénéficiant du bois exploité en RDC. Il y a également des ressources qui sont pillées au Sénégal et sortent du continent par la Gambie. C’est ici qu’il a décrié le flux et le trafic transfrontalier entre les deux pays.
Au sujet de la faune, Symphorien Ongolo a laissé entendre que la mondialisation a fait qu’à l’Est du Cameroun, des sacs remplis d’écailles de Pangolin ont été saisis alors qu’ils étaient à destination du marché asiatique et chinois plus particulièrement. Il a martelé que les réalités de la mondialisation font que la masse qui prend des risques dans l’exploitation ne gagne rien tandis que la minorité jouit de ces ressources naturelles.
« La notion de jungle ici renvoie simplement à un milieu où les individus les plus forts ont tendance à imposer leurs règles, leurs intérêts au détriment des plus faibles qui eux sont voués à subir la domination des gouvernants. J’aborde cette question en l’associant à des évolutions les plus récentes où la jungle est devenue un espace globalisé …Je vous renvoie à l’image d’un agriculteur qui met le feu à une localité bien reculée de Madagascar. Dans son imaginaire ce feu représente un effort de mise en culture de sa pensée mais dans un contexte mondialisé, ce feu va devenir un élément de gouvernance globale de changement climatique. Car, la fumée va générer des effets sur l’atmosphère et ça va contribuer au changement climatique» , a t-il dit.
Dans l’agenda de recherche, docteur Ongolo a fait savoir que le processus de mondialisation apporte un certain nombre de questionnements qui constitue pour les chercheurs et universitaires, « des interpellations à la réflexion, à la mise en chantier et à la mise en actualisation des problématiques des recherches, pour que ce savoir-là soit également généré de façon endogène et pour le bien de nos universités».
Satisfait de la tenue de cette conférence qui vient agrandir le palmarès scientifique de l’UOM, l’Abbé Recteur, Appolinaire Cibaka Cikongo , a invité les africains à prendre conscience quant à la gestion des forêts et ressources naturelles que le continent regorge.
« Nous avons accueilli dans notre université un chercheur d’origine camerounaise qui est un des piliers d’un grand projet qui réfléchit sur la gestion de la forêt tropicale, des forêts du bassin du Congo et c’est un projet dans lequel est très engagé l’un de nos jeunes professeurs [ Nlrd : Professeur Eliezer Majambu]. Je pense qu’il est grand temps que nous puissions prendre conscience du fait que nous n’avons pas une terre de rechange. Nous n’avons que celle-ci et les africains, nous savons comment nous sommes accueillis ailleurs. Quand cette belle terre va se désertifier, les portes ne nous seront pas ouvertes facilement ailleurs », a-t-il conscientisé.
La Conférence s’est clôturée par l’interaction entre les conférenciers et les participants. Curieux et interssés à la fois par la pertinence de la matière exploitée au cours de ce rendez-vous scientifique, les chercheurs ont posé des questions pour plus de lumière. Ils sont sortis de la salle sur une note de satisfaction, pour avoir été éclairés sur toutes leurs préoccupations.
Rédaction